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Choisir l’excellence

CHOISIR L’EXCELLENCE. POURQUOI CERTAINES ENTREPRISES PROSPÈRENT DANS UN ENVIRONNEMENT INCERTAIN ALORS QUE LES AUTRES DÉCLINENT

 

Livre écrit par Jim Collins et Morten T. Hansen, publié en français aux Éditions Transcontinental, 2012; traduction de Great by Choice: Uncertainty, Chaos, and Luck – Why Some Thrive Despite Them All, HarperCollins Publishers

 

RÉSUMÉ ET CRITIQUE DU LIVRE PAR SERGE BARON, ADMA, FCMC, PRÉSIDENT DE BARON MANAGEMENT, PARTENAIRE DE RESO MANAGEMENT

 

SYNTHÈSE DU RÉSUMÉ DE M. BARON

 

La grande question posée dans ce livre est la suivante : qu’est-ce qui distingue donc les entreprises à grand succès (qu’on nomme entreprises 10X) des autres?

 

Précisons d’abord ce que ce n’est pas :

 
 
  • La présence de leaders visionnaires capables de prédire l’avenir et plus portés à prendre des risques
  • L’innovation
  • La rapidité de décision
  • La capacité de faire des changements radicaux
  • La chance ou la malchance

 

Ce qui distingue ces entreprises 10X :

 
 
  • Une discipline fanatique
  • Une créativité empirique
  • Une paranoïa productive
  • La recette SMC
  • Une ambition de niveau 5 de la part des leaders 10X

 

Les leaders 10X sont simplement plus disciplinés, plus empiriques et plus « paranoïaques » que les autres. Les entreprises 10X ont connu moins de changements radicaux en réaction à leur environnement que les entreprises comparées. Les leaders 10X ne décident pas toujours vite; ils savent quand devoir décider rapidement et quand prendre le temps de réfléchir. Et s’ils peuvent avoir du temps, ils le prennent.

 

Enfin, les entreprises 10X n’ont pas eu, étude à l’appui, plus de chances ou moins de malchances que les entreprises comparées. Mais elles ont su, à cause des compétences qu’elles ont développées, profiter de leur chance plus que les entreprises comparées.

 

RÉSUMÉ DU LIVRE

 

L’ÉTUDE DES ENTREPRISES TRÈS PERFORMANTES EN CONTEXTE DE TURBULENCE ET LEUR COMPARAISON AVEC DES ENTREPRISES COMPARABLES [1]

 

Les auteurs ont fait une étude sur les entreprises 10X, c’est-à-dire les entreprises qui ont fait mieux que celles de leur secteur, et ce, sur une longue période, et les ont comparées à autant d’entreprises dans le même secteur et ayant opéré dans le même environnement.

 

Critères de sélection des entreprises 10X :

 

  1. Ont eu des résultats spectaculaires, supérieurs à la moyenne du marché boursier et à leur secteur pendant 15 ans ou plus (jusqu’en 2002); en fait, les entreprises retenues ont surpassé les autres de leur secteur dans une proportion de 30/1
  2. Ont atteint ces résultats en dépit d’un environnement particulièrement turbulent marqué par des événements incontrôlables, brusques, incertains et potentiellement dangereux
  3. Ont accédé à l’excellence en partant d’une position de vulnérabilité, soit parce qu’elles étaient de nouvelles entreprises, soit parce qu’elles étaient de petite taille, soit pour les deux raisons

 

Les entreprises retenues comme étant des 10X : Amgen, Biomet, Intel, Microsoft, Progressive Insurance, Southwest Airlines, Stryker. Les entreprises comparées sont des entreprises qui ont œuvré dans le même secteur, au même moment et ont bénéficié d’opportunités identiques.

 

Liste des entreprises 10X et des entreprises comparées

 

Entreprises 10X :

 

  • Amgen
  • Biomet
  • Intel
  • Microsoft
  • Progressive Insurance
  • Southwest Airlines
  • Stryker

 

Entreprises comparées :

 

  • Genentech
  • Kirschner
  • AMD
  • Apple (avant le retour de Steve Jobs)
  • Safeco
  • PSA
  • USSC

 

Question : qu’est-ce qui distingue ces entreprises à grand succès des autres?

 

Ce n’est pas :

 

  • La présence de leaders visionnaires capables de prédire l’avenir et plus portés à prendre des risques. Les leaders 10X ne sont pas plus visionnaires, plus créatifs ni plus enclins à prendre des risques que les autres. Ils sont simplement plus disciplinés, plus empiriques et plus « paranoïaques » que les autres
  • L’innovation : même si les entreprises 10X innovent, elles ne sont pas plus innovatrices que les autres; elles innovent même moins que les entreprises comparées
  • La rapidité de décision : les leaders 10X ne décident pas toujours vite; en fait, ils savent quand devoir décider rapidement et quand prendre le temps de réfléchir. Et s’ils peuvent avoir du temps, ils le prennent
  • La capacité de faire des changements radicaux : les entreprises 10X ont connu moins de changements radicaux en réaction à leur environnement que les entreprises comparées
  • La chance ou la malchance : les entreprises 10X n’ont pas eu, étude à l’appui, plus de chances ou moins de malchances que les entreprises comparées. Mais elles ont su, à cause des compétences qu’elles ont développées, profiter de leur chance plus que les entreprises comparées

 

Ce qui distingue ces entreprises 10X :

 

  1. Une discipline fanatique
  2. Une créativité empirique
  3. Une paranoïa productive
  4. La recette SMC
  5. Une ambition de niveau 5 de la part des leaders 10X

 

1.    UNE DISCIPLINE FANATIQUE OU LA MARCHE DES 30 KM

 

La parabole utilisée : marcher 30 km par jour, qu’il fasse beau ou non. S’il fait tempête, la marche nous endurcit et, s’il fait beau et si les conditions sont très favorables, on ne dépasse quand même pas les 30 km prévus pour éviter de s’épuiser : on pourrait avoir besoin de toutes ses forces le lendemain pour affronter un éventuel mauvais temps.

 

Cette parabole prêche pour une amélioration constante de la performance (croître de 20 % par année chez Stryker, pas 10 % ni 40 %), ni trop lente, ni trop vite, pour éviter de se mettre en péril.

 

La discipline, c’est la cohérence dans l’action : cohérence avec les valeurs, cohérence avec les objectifs à long terme, cohérence avec les normes de performance, cohérence de la méthode, cohérence dans le temps. Être discipliné, c’est avoir l’indépendance nécessaire pour s’opposer à des pressions qui vont à l’encontre des valeurs, des normes de performance et des ambitions à long terme. Ce n’est pas embrigadement, obéissance aveugle ou adhésion à des règles bureaucratiques. La seule forme de discipline, c’est l’autodiscipline, le fait d’avoir la volonté de faire ce qu’il faut pour atteindre l’excellence.

 

Les personnalités 10X ne suivent pas le troupeau, sont capables de tenir sans faiblir, ne dérogent pas à leurs principes et ont assez de discernement pour ne pas viser des buts irréalistes. En ce sens, ce sont des anticonformistes, des personnes indépendantes d’esprit!

 

Les PDG 10X ne sont pas seulement disciplinés, ils sont des fanatiques de la discipline. Ils ont un objectif, des principes, des règles, etc., et n’en démordent pas!

 

Le 30 km, c’est donc, par exemple, chez Stryker, croître de 20 % par année. Les excuses ne sont pas bienvenues : il faut croître de 20 % par année quand les conditions sont faciles sans dépasser le 20 % – le 30 km dans la parabole -, même si les concurrents ont une performance plus grande et même beaucoup plus grande, même si les opportunités sont présentes pour une croissance beaucoup plus rapide. De même, quand les conditions sont difficiles, l’objectif de 20 % demeure. Le but est clair, doit être poursuivi systématiquement et est traduit en marqueurs de performance adaptés à l’entreprise. Chez Progressive Insurance, le marqueur de performance visé est le ratio combiné de 96 : ne pas dépenser plus de 96 $ en indemnisation pour 100 $ de prime.

 

Pour arriver à un tel score (croître de 20 % ou le ratio combiné de 96), il faut que tous les ingrédients de la recette fonctionnent sinon le plat (= le résultat visé) est raté.

 

Les entreprises comparées ont des progressions beaucoup plus variables, meilleures une partie du temps mais irrégulières, avec des bas drastiques et parfois dramatiques. Par exemple, Safeco, entreprise comparée à Progressive Insurance, s’est lancée à un moment donné dans l’investissement des primes d’assurance dans les marchés financiers, se distanciant ainsi de ses activités de base, ce qui lui a valu des pertes financières importantes à court terme dans ses activités de base (l’assurance). Puis, Safeco a fait de très importantes acquisitions, mais a cumulé par après des pertes importantes, avec un ratio combiné non rentable. Safeco a eu les années suivantes des performances souvent négatives ou médiocres. Dans ce cas, la « distraction » de l’investissement des primes dans les marchés financiers a fait en sorte que Safeco est devenue moins performante dans ses activités de base, ce qui l’a rendue vulnérable quand le volume des activités d’assurance a augmenté avec les acquisitions.

 

La croissance des 10X est donc plus lente durant certaines périodes, mais les entreprises sont plus solides, en s’exposant moins à vivre des temps durs si les conditions extérieures sont moins bonnes. Par exemple, en ayant une dette moins élevée -dette reliée par exemple à moins d’acquisitions-, les 10X peuvent affronter les temps difficiles avec plus de liquidités. Les entreprises 10X misent sur la constance et le long terme et non sur les exploits à court terme. Elles peuvent ainsi demeurer en contrôle de leur développement, respecter leur culture et éviter d’épuiser leur capacité de rentabilité.

 

Exemple de flop relié à une situation de vulnérabilité créée par une croissance trop forte : Kirschner, l’entreprise comparée à Biomet, a fait de nombreuses acquisitions coûteuses, mais s’est rendue vulnérable, car ces acquisitions devaient absolument lui permettre d’atteindre les objectifs (ambitieux) visés, faute de quoi l’entreprise aurait de sérieux problèmes. Ainsi l’acquisition par Kirschner de Chick Médical à grand prix est devenue un cauchemar quand l’équipe de vente de l’entreprise acquise a démissionné pour rejoindre la concurrence.

 

L’étude de Colllins et Hansen démontre qu’il existe une corrélation négative entre la poursuite de la croissance maximale et la réussite des 10X.

 

Les avantages de la marche des 30 km :

 

  • Donne confiance en soi : on est capable d’atteindre de bons résultats quand les circonstances sont défavorables
  • Permet d’éviter la catastrophe des situations déstabilisantes; les entreprises sont moins prises au dépourvu, car elles ont, par exemple, moins de dettes et sont en général plus en contrôle (ex. : l’acculturation de leur personnel devient un énorme défi lors d’acquisitions à répétition), et peuvent rebondir dans des situations difficiles alors que les autres déclinent durant plusieurs années, disparaissent ou sont achetées
  • Être maître de soi-même dans un environnement qu’on ne contrôle pas : on ne contrôle pas l’environnement, mais on peut se contrôler soi-même; il faut mettre toutes les chances de son côté en prévoyant, comme les explorateurs cités en exemple dans le livre (pôle Sud et mont Everest), des réserves en double, en comptant sur des membres de l’équipe dont les capacités ne font pas de doute, etc.

 

2.    LA CRÉATIVITÉ EMPIRIQUE OU D’ABORD LES BALLES ET ENSUITE LES BOULETS DE CANON

 

Les entreprises 10X ne sont pas les plus innovatrices et leurs leaders n’ont pas de capacité particulière pour anticiper l’avenir. Elles sont même moins innovatrices que les entreprises comparées. Par exemple, de 1983 à 2002, Genentech a déposé deux fois plus de brevets que Amgen; pourtant Amgen a eu une performance financière très supérieure. Les entreprises comparées étaient, durant la période étudiée, des entreprises très innovatrices. John Brown, PDG de Stryker, une entreprise 10X, estimait, pour sa part, qu’il valait mieux être en retard d’une mode, en d’autres mot, qu’il ne fallait pas être les premiers -mais pas non plus les derniers- à entrer sur le marché. Les pionniers ne sont pas toujours ceux qui exploitent l’innovation avec succès : Polaroid n’a pas inventé l’appareil-photo instantané; c’était Dubroni. Gilette n’a pas inventé le rasoir de sûreté; c’était Star. Microsoft n’a pas inventé le tableur pour micro-ordinateur; c’était VisiCorp. Une étude de Tellis et Golder [2] révèle que 64 % des pionniers n’ont pas fait carrière.

 

Des expérimentations à faible coût

 

Au-delà d’un certain seuil d’innovation (l’innovation demeure essentielle même si elle ne garantit pas à elle seule le succès d’une entreprise), ce qui distingue les 10X, c’est leur façon d’expérimenter les innovations. La parabole utilisée ici est la suivante : il faut d’abord tirer des balles pour ajuster son tir avant de tirer un coup de canon et détruire la cible. Les entreprises 10X multiplient les expérimentations à faible coût (les balles), ce qui leur permet de tester leurs différentes innovations avant de se lancer dans de grands changements (le boulet de canon) dans leur offre de produits/services. Il faut éviter de trop dépenser ses ressources de temps, d’efforts, d’argent, etc. Ainsi, Amgen, à ses débuts, a lancé plusieurs balles avec des recherches et des tests sur différents produits biotechnologiques avant le coup de canon qu’a été la mise en fabrication de l’EPO. Une balle est un test qui sert à éprouver ce qui marche et qui répond à trois critères : coût peu élevé (la notion de peu élevé varie selon la taille de l’entreprise), risque faible (si le test échoue, les conséquences sont minimes pour l’entreprise) et distraction limitée pour l’entreprise (mais occupation majeure pour quelques personnes dont c’est la tâche principale).

 

Les flops majeurs qui peuvent être fatals à une entreprise sont ainsi évités. Car il ne faut pas seulement innover, il faut produire à temps et en quantité suffisante (livrer) un produit de qualité à un coût acceptable pour le client. Autrement, c’est le flop.

 

Exemple de flop relié à une stratégie coup de canon d’abord : PSA, l’entreprise comparée avec Southwest Airlines et entreprise à succès qu’a d’ailleurs carrément copiée Southwest Airlines lors de son démarrage, était très performante et innovatrice. Les dirigeants de PSA décident alors de lancer une nouvelle offre client intégrant vol-auto-hôtel en y allant tout de suite avec une stratégie boulet de canon. PSA passe un contrat de location de 25 ans avec des hôtels californiens et acquiert une compagnie de location d’auto qui s’installe dans 20 villes et qui doit compter plus de 2000 véhicules. Résultat : des pertes durant des années. Les dirigeants ont découvert qu’ils étaient de mauvais gestionnaires d’hôtels. Le concept avait du sens au point de depart, mais il aurait pu être expérimenté sur une base beaucoup plus limitée. PSA a répété ce type d’erreurs en ajoutant par après à sa flotte 5 Jumbo-jets L1011 pour un prix équivalent à 1,2 fois ses fonds propres. Là non plus, l’entreprise n’a pas réussi à rentabiliser cet investissement colossal. PSA a fini par capituler et a été achetée.

 

Mais les entreprises 10X font aussi parfois ce genre d’erreurs en tirant d’abord des coups de canon, mais elles apprennent de leurs erreurs et reviennent vite au principe des balles d’abord et du coup de canon ensuite.

 

L’analyse pure (ex. : les passagers d’un avion ont besoin, rendus à destination, d’un hôtel et d’une auto de location) a une utilité certaine mais, seule, elle peut conduire à la catastrophe; l’analyse pure doit être validée empiriquement.

 

À noter que l’entreprise n’est pas obligée d’être celle qui lance toutes les balles; elle peut apprendre de l’expérience des autres entreprises.

 

Expérimenter vs anticiper l’avenir

 

Les leaders 10X n’ont pas de capacité particulière pour anticiper l’avenir. Ils multiplient les expérimentations et voient ce qui marche. Bien sûr, ils se questionnent en continu sur l’évolution de leur environnement. Bill Gates a amené Microsoft à travailler parallèlement sur OS/2, qui devait dominer le marché selon l’opinion très partagée des experts, et, plus ou moins à la cachette, sur le développement de Windows. C’est finalement Windows qui a été le système retenu et Microsoft était prêt. Cette façon de faire de Bill Gates a été déterminante pour le succès remarquable de l’entreprise par la suite. Ne sachant pas quel système l’emporterait, il a eu la prudence de travailler de front sur les deux systèmes.

 

Il est soulageant de constater que la recette du succès repose sur la méthode que nous venons de décrire et non sur une capacité exceptionnelle d’anticipation du futur. La créativité empirique est à la portée des entreprises à condition qu’elles aient la discipline nécessaire pour s’en tenir à ce modus operandi.

 

3.    LA PARANOÏA PRODUCTIVE OU DIRIGER AU-DESSUS DE LA LIGNE DE LA MORT

 

Les leaders 10X dirigent en s’appuyant sur leur « paranoïa productive ». Ils savent que les circonstances peuvent changer rapidement, radicalement, de façon imprévue, ce qui est confirmé chaque jour. Ils restent vigilants en se demandant constamment : « Qu’arriverait-il si … ? » Ils se préparent à l’avance, prévoient des réserves, de larges marges de sécurité auxquelles rien ne les oblige à court terme, en limitant les risques et en suivant une discipline stricte. Ils savent que les seules erreurs dont on peut apprendre sont celles auxquelles on survit.

 

Les leaders 10X dirigent au-dessus de la ligne de la mort. La ligne de la mort, c’est le point qu’il ne faut pas toucher au risque de la disparition de l’entreprise ou de miner totalement ses chances d’atteindre l’excellence.

 

Paranoïa productive 1 : les précautions à prendre avant l’arrivée de la tempête

 

Les entreprises 10X manifestent une plus grande prudence financière, et ce, dès le début de leur existence. Elles constituent des réserves pour amortir les chocs des périodes de tempête, même celles qui apparaissent très improbables. L’étude démontre que le ratio liquidités/actifs des entreprises 10X était de 3 à 10 fois supérieur au ratio médian des 87 117 entreprises analysées par le Journal of Financial Economics. Les entreprises 10X peuvent être accusées de sous-utiliser leurs liquidités pour développer tout le potentiel de l’entreprise. En fait, comme leurs dirigeants ne savent pas plus que d’autres anticiper l’avenir, ils se préparent au pire.

 

Par exemple, Southwest Airlines au lendemain du 11 septembre 2001 n’a annulé aucun vol et n’a mis à pied aucun employé. Elle a même ouvert de nouvelles destinations et a vu ses parts de marché augmenter, de même que la valeur de ses actions. L’entreprise a connu des profits même en 2001 et, à la fin de 2002, l’entreprise avait une capitalisation boursière supérieure à toutes les autres compagnies aériennes américaines réunies! Ce qu’il faut comprendre, c’est que Southwest Airlines était prête à affronter une telle situation, autant qu’une entreprise peut l’être, bien sûr. Elle avait des liquidités de 1 milliard à la veille du 9/11. À cause de sa discipline menée de main de fer depuis 30 ans, la compagnie avait le coût unitaire par siège le plus bas. Elle avait réfléchi longtemps d’avance à une stratégie de crise et avait mis en place les outils nécessaires à un plan d’urgence financière. Elle avait aussi mis en place une culture forte d’entraide entre employés qui a été éminemment nécessaire pour traverser la crise.

 

Paranoïa productive 2 : limiter les risques

 

Les entreprises obtiennent-elles des succès extraordinaires parce qu’elles prennent plus de risques? Non, elles font tout, au contraire, pour éviter les risques inutiles : en lançant des balles avant les coups de canon, en étant disciplinées, en se préparant pour les périodes difficiles. L’étude démontre, données et analyse à l’appui, que les leaders 10X prennent moins de risques que les leaders des entreprises comparées. Ils essaient d’éviter tous les risques qui peuvent être évités.

 

Les entreprises 10X obtiennent-elles plus de succès parce que leurs leaders décident plus rapidement que ceux des entreprises comparées? Les leaders 10X ne décident pas nécessairement plus vite que les autres. Ils essaient d’éviter les décisions précipitées. En fait, en étant vigilants par rapport aux différents risques susceptibles de mettre en danger l’entreprise, ils se posent constamment la question suivante: « De combien de temps disposons-nous avant que notre profil de risque change? » Ils prendront des décisions rapides s’il le faut. Mais, en identifiant le changement ou la menace suffisamment tôt, ils n’auront pas, en général, à prendre des décisions précipitées. Les décisions précipitées peuvent être très néfastes pour une entreprise. Quand on le peut, c’est-à-dire quand le risque n’est pas imminent, on a avantage à laisser se développer davantage la situation pour bien la comprendre et se préparer adéquatement.

 

Paranoïa productive 3 : zoomer arrière, puis zoomer avant

 

Les leaders 10X sont capables de rester centrés sur leurs objectifs et leur entreprise en même temps qu’ils restent constamment vigilants par rapport à l’environnement et aux modifications dans cet environnement susceptibles d’avoir un impact négatif sur leur entreprise (changement du profil de risque). Une fois identifié un risque majeur à affronter, ils élaborent une solution, en plus ou moins de temps selon le temps dont ils disposent, pour que le profil de risque de l’entreprise change. Ils zooment alors avant en mobilisant toute l’entreprise pour effectuer les changements nécessaires avec l’intensité requise (toute l’intensité que requiert le niveau d’urgence) et avec discipline et rigueur.

 

Les questions que se posent les leaders 10X :

 

  • Quel serait le pire scénario?
  • Quelles conséquences ce scénario entraînerait-il?
  • Avons-nous des mesures pour y faire face?
  • Quelles sont les avantages et les inconvénients de ces décisions?
  • Qu’est-ce qui échappe à notre contrôle?
  • Comment éviter notre exposition à des forces que nous ne contrôlons pas?
  • Etc.

 

Les leaders 10X se distinguent par leur capacité à repérer les instants déterminants et à se concentrer sur un nouvel objectif et/ou à réorganiser leur stratégie à la suite d’une occasion ou d’un danger. Tous les moments de la vie ne sont pas équivalents. Certains comptent plus que d’autres. Le 11 septembre 2001 a été un de ces moments pour l’industrie du transport aérien. Les leaders 10X se préparent constamment à affronter ces moments. Quand arrive l’événement, ils sont prêts, autant qu’on peut raisonnablement l’être. Ils mettent alors leur vie entre parenthèses pour donner le meilleur d’eux-mêmes.

 

Le leader 10X a avantage, et certains semblent le faire, à encourager la libre expression de la « paranoïa » de chacun (l’échange des idées) et à valoriser l’inspection brutale des faits (ex. : nous perdons depuis 4 ans des parts de marché parce que notre produit est moins pertinent pour nos clients que celui de notre concurrent).

 

4.    LA RECETTE SMC OU LA FORMULE DE RÉUSSITE

 

La recette SMC, c’est un ensemble de pratiques opératoires qui créent une formule de réussite que l’on peut reproduire. C’est un code opératoire qui transforme les concepts stratégiques en réalités, un ensemble de pratiques à long terme plus durables que de simples tactiques. La recette SMC (S pour Spécifique M pour Méthodique et C pour Continu) peut s’appliquer pendant des décennies.

 

Exemple : la recette SMC de Southwest Airlines :

 

  • Rester un transporteur court-courrier (moins de 2 heures de vol)
  • Voler uniquement sur des 737 durant 10-12 ans
  • Réduire le temps d’escale à 10 minutes dans la plupart des cas
  • Le passager est le produit aérien; pas de fret aérien ni de courrier postal, seulement des petits paquets à la rentabilité très élevée et aux coûts de manutention limités
  • Poursuivre la politique de bas prix et de multiplication des vols
  • Ne pas servir de repas à bord
  • Pas d’accord interligne : les frais de billetterie, les tarifs pratiqués, les coûts informatiques et le système unique d’aéroports ne le permettent pas
  • Sauvegarder l’esprit de famille et de service et l’atmosphère bon enfant : « Nous sommes fiers de notre personnel »
  • Simplifier : poursuivre le système d’achat des billets au guichet, limiter les procédures d’annulation des réservations aux portes à 10 minutes maximum pour permettre aux passagers en attente d’embarquer, offrir des boissons dans le salon VIP, offrir du café et des beignets aux voyageurs dans la salle d’embarquement, pas de réservation de sièges, enregistrer les messages à l’attention des passagers, ramener les avions et les équipages à Dallas tous les soirs, avoir un seul hangar de maintenance situé sur la « base », etc.

 

Ces points de la recette SMC de Southwest Airlines reflètent une stratégie fondée sur la validation empirique de la décision et de l’action. Pourquoi, par exemple, ne voler que sur des 737? Pour que les pilotes puissent conduire tous les avions de la compagnie, ce qui permet une souplesse incomparable. Un seul type de sièges, un seul type de pièces, un seul type de manuels de formation, des procédures de maintenance identiques, les mêmes simulateurs de vol, un seul modèle de passerelle, une seule procédure d’embarquement.

 

Pérennité de la recette SMC de Southwest Airlines : en 25 ans, seulement 20 % de ces règles ont changé! La recette, tout en conservant sa permanence, a évolué. La compagnie a fini par offrir des vols de plus de 2 heures, offrir des réservations par Internet et avoir un accord avec Icelandair. Si elle s’était enfermée dans la rigidité, elle ne serait pas devenue une entreprise 10X. Mais il est quand même étonnant de voir que plusieurs des points de la recette ont continué à régir l’entreprise.

 

Ces règles sont claires, simples à comprendre et sont appliquées avec une discipline « fanatique ».

 

Les entreprises comparées ont modifié leur recette SMC quatre fois plus que les entreprises 10X, sauf Kirschner qui n’en a jamais eue. Et ce n’est pas parce qu’elles avaient des recettes SMC moins pertinentes (ex. : PSA). Le déclin et puis la renaissance d’Apple s’explique par l’abandon de la recette SMC puis son application de nouveau au retour de Steve Jobs. Quelques exemples de la recette SMC d’Apple : ne laisser personne cloner nos produits, miser sur un design convivial et élégant, concevoir les produits de façon à ce qu’ils puissent fonctionner en synergie, viser le marché des particuliers plutôt que celui des entreprises, ne s’attaquer qu’à des domaines dont on maîtrise la technologie, etc. Apple, en l’absence de Steve Jobs, a décliné, non parce que la recette n’était plus pertinente, mais parce que l’entreprise n’avait plus la discipline nécessaire pour appliquer la recette.

 

Les entreprises comparées sont parfois étonnantes de par leur inconstance (ex. : AMD, entreprise comparée à Intel).

 

Deux méthodes sûres pour changer la recette : la créativité empirique, qui permet de vérifier la pertinence des innovations, et la paranoïa productive qui se caractérise par un processus de questionnement sans concession sur soi et son environnement.

 

5.    L’AMBITION DE NIVEAU 5

 

Les leaders de niveau 5 sont ceux qui savent mettre leur ego au service d’une cause : le succès de leur entreprise. Ils sont très ambitieux pour leur entreprise et non pour eux-mêmes. Ils ne se décrivent pas comme de grands gourous, mais plutôt comme des serviteurs de leur entreprise. Dans le livre précédent de Jim Collins, Good to Great, les leaders de niveau 5 sont décrits comme des gens humbles qui sont loin de s’attribuer tous les succès de l’entreprise.

 

Les entreprises 10X ont-elles plus de chances ou moins de malchances que les entreprises comparées?

 

La réponse est non. L’étude le démontre amplement. Les entreprises tirent mieux profit des chances parce qu’elles ont développé des compétences, notamment à cause d’une discipline de fer, et se tirent mieux des malchances parce qu’elles sont préparées au pire (paranoïa productive). Elles savent obtenir un bon rendement de la chance comme on obtient un bon rendement d’investissements. Les entreprises comparées, l’analyse étant faite, ont eu autant de chances et pas plus de malchances, mais n’ont pas su en tirer tout le rendement.

 

Par exemple, AMD, entreprise comparée à Intel, après une série de chances fantastiques (ex. : IBM décide d’utiliser AMD comme fournisseur plutôt qu’Intel qui avait eu des difficultés très médiatisées avec son Pentium) a eu des difficultés de commercialisation de son microprocesseur de cinquième génération, le projet accusant plusieurs mois de retard. Les clients ont commencé à se tourner vers le concurrent, Intel. Quand AMD a résolu ses problèmes, Intel avait déjà sorti une autre génération de microprocesseur, ce qui amenait AMD dans un jeu de rattrapage. Mais AMD a eu à nouveau de la chance, à deux reprises précisément, mais elle a laissé passer sa chance en n’étant pas capable de répondre à la demande de microprocesseurs. Les difficultés d’AMD à profiter de la chance sont reliées à son manque d’excellence opérationnelle, dans ce dernier cas.

 

COMPARAISON ENTRE LES LIVRES GOOD TO GREAT ET CHOISIR L’EXCELLENCE

 

Les leaders 10X ont trois caractéristiques communes avec les leaders décrits dans le fameux best-seller de Jim Collins, Good to Great. Ils ont une discipline de fer, une créativité empirique et une ambition de niveau 5. Par contre, dans Good to Great, on ne décrit pas les leaders comme ayant une « paranoïa productive ». Sans doute parce qu’ils ne vivent pas dans un environnement aussi turbulent. De plus, les leaders décrits dans Good to Great sont souvent à la tête d’entreprises solidement établies, donc beaucoup moins vulnérables que les entreprises 10X, qui sont vulnérables au début à cause de leur taille et/ou de leur courte histoire.

 

CRITIQUE

 

Avec ce livre, on peut apprécier la différence entre spéculer sur des situations et aller vérifier ce qu’il en est dans la réalité avec une étude sérieuse. Le livre amène à faire d‘importantes nuances par rapport à un certain courant de pensée.

 

Ainsi, l’innovation comme moteur du développement doit être nuancée sérieusement : les entreprises 10X ne sont pas celles qui innovent le plus même si, bien sûr, elles innovent. Ce qui distingue les entreprises au-delà d’un certain seuil d’innovation, c’est la façon d’expérimenter, avec des balles ou avec des coups de canon. En fait, les entreprises 10X expérimentent pour voir si ça marche dans la réalité plutôt que de se lancer tout de suite dans des investissements majeurs.

 

De même, les leaders 10X ne sont pas ceux qui prennent les décisions les plus rapides ou qui effectuent le plus de changements. Ils le font si nécessaire, mais ils essaient autant que possible d’éviter d’agir avec précipitation en analysant constamment l’environnement et ses impacts sur l’entreprise. Et ils font moins de changements majeurs que les leaders des entreprises comparées.

 

Le message livré par les auteurs et par leur étude est encourageant : pas besoin d’être devin en anticipant l’avenir ni d’être des génies créatifs pour atteindre l’excellence. La discipline et la méthode (au niveau de l’expérimentation et de la réflexion stratégique notamment) sont des chemins sûrs vers l’excellence. Ces façons de faire sont certes exigeantes, mais elles sont plus à la portée de tous que les supposés talents de visionnaire et de génie créatif.

 

Ce livre démystifie donc les recettes gagnantes et les rend accessibles.

 

Petit bémol : les auteurs parlent beaucoup des comportements des PDG, moins de ceux de leurs gestionnaires. Pourtant, ces PDG n’ont pu construire seuls ces entreprises. On peut être sûr que certaines remises en question très salutaires provenaient de professionnels et de cadres. Le PDG, bien sûr, devait favoriser la remise en question, même l’initier dans certains cas. Mais il ne peut être le seul initiateur de la réflexion critique et de la « vigie paranoïaque » comme pourraient le laisser croire certaines parties du livre.

 


 

[1] Ce livre se veut une suite à Good to Great: Why Some Companies Make the Leap… And Others Don’t, publié chez HarperCollins Publishers en 2001, le fameux best-seller de Jim Collins. Cette fois-ci, avec son collègue Morten T. Hansen, il se concentre sur les entreprises qui opèrent dans un environnement turbulent.

[2] Tellis, Gerard and Peter N. Golder, Will and Vision, New York, McGraw-Hill, 2002.

  1. Bonjour Serge,

    Blogueur maintenant? tu auras tout essayé et cette dernière initiative est très heureuse. J’ai beaucoup apprécié ton texte clair, concis et j’y retrouve ta forte capacité de synthèse. J’avais lu Collins l’hiver dernier et je suis comblé en constatant que ton résumé m’a aidé à faire des liens que je n’avais pas fait.
    Intéressant ce déboulonnage de nombreuses affirmations courantes sur le succès. Par contre, j’ai un gros bémol pour un thème exclu (ce que ce n’est pas): l’innovation. Ma compréhension de l’étude Collins est que l’innovation doit être intelligente, choisie et surtout devenir un des piliers de la culture organisationnelle. Ceux qualifiés de 10X ont su développer cette culture. Je suis donc bien amicalement un peu en désaccord avec toi sur l’énoncé que l’innovation de fait pas parti des caractéristiques des meilleurs. D’ailleurs, vu sous un autre angle, il est intéressant d’apprendre que la Suisse est le pays no. 1 au monde selon le Global Innovation Index 2013 et qu’en même temps, la Suisse a le plus haut PIB par habitant au monde. Je crois qu’il doit y avoir une corrélation directe. Par ailleurs, j’observe que l’innovation et la créativité deviennent de nouvelles vaches à lait pour les consultants. On dirait que c’est une panacée et que tout le reste ne compte pas. Ton texte ramène bien sur terre ces nouveaux prédicateurs.
    Au plaisir de te relire, bon été et bon vent!

  2. Salut Serge et Raymond,
    Super résumé! Très très intéressant. Je me propose d’acheter ce livre moi qui avait beaucoup aimé Good to Great. Merci de cette belle initiative et de m’y avoir associé.
    Gaetan

  3. Réponse à Denis Tremblay
    Les entreprises 10X innovent. L’étude de Collins et Hansen décrivent les entreprises 10X comme étant innovatrices même si, faits à l’appui, elles le sont moins que les entreprises auxquelles on les compare. Sont-elles plus innovatrices que la majorité des entreprises? L’étude n’en parle pas mais une telle hypothèse est plausible selon moi. Il ne faudrait certes pas conclure à partir de cette étude que des entreprises en 2013 peuvent survivre sans innover en continu. . Mais l’innovation seule ne suffit pas comme le démontre l’histoire des compagnies comparées aux 10X

    Serge Baron, auteur du résumé

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